Difficulté de vendre des surplus d’énergie solaire à Hydro-Québec.
Le Québec doit dénicher davantage d’électricité. Pourtant, pour les propriétaires d’immeubles commerciaux équipés de panneaux solaires, il est souvent impossible de vendre des surplus d’énergie sur le réseau d’Hydro-Québec. N’en déplaise aux adeptes du photovoltaïque, la société d’État pense que cette source d’énergie colle mal aux besoins de la province.
L’an dernier, la firme d’architecture Rayside Labossière a achevé l’agrandissement de ses bureaux, dans le quartier Centre-Sud, à Montréal. Voulant rehausser ses « ambitions vertes » et se conformer à des certifications environnementales, elle avait décidé d’installer des panneaux solaires sur le toit de l’immeuble qui, en plus de ses bureaux au rez-de-chaussée, comporte aussi huit appartements aux étages supérieurs.
Mauvaise surprise : le projet ne se qualifiait pas au programme « mesurage net » d’Hydro-Québec, qui permet aux autoproducteurs d’énergie solaire d’injecter leurs surplus sur le réseau en échange de crédits. Pour des raisons administratives, seuls les clients d’affaires de petite puissance, qui n’ont jamais besoin de plus de 50 kilowatts (kW), y sont admissibles. « Tu dépasses assez vite cette limite », explique Antonin Labossière, un associé de la firme.
D’un coup, le projet devenait moins rentable. En moyenne, les panneaux solaires sur le toit de l’agrandissement répondent au tiers des besoins du bureau. Toutefois, quand le soleil brille et que les ordinateurs sont éteints, il peut arriver que la production d’énergie dépasse la consommation. Sans l’option mesurage net, ces surplus sont injectés sans rétribution sur le réseau d’Hydro-Québec.
Les bureaux de Lemay, situés dans le quartier Saint-Henri, à Montréal, sont eux-mêmes coiffés de 379 panneaux photovoltaïques. Toutefois, comme l’immeuble nécessite trop de courant pour être considéré comme un client de petite puissance, il ne s’est pas qualifié au programme. « Nos systèmes sont calibrés pour limiter ces pertes-là, mais il y a quand même des moments dans l’année où Lemay donne de l’électricité aux Québécois », souligne M. Lafrance.
Selon ce spécialiste des bâtiments durables, qui est aussi membre du comité directeur de LEED Canada, il faudrait qu’Hydro-Québec et la Régie de l’énergie assouplissent les critères d’admissibilité au programme mesurage net. « C’est essentiel si on veut que l’industrie du bâtiment commercial, institutionnel et industriel embarque dans le solaire — et c’est cette industrie qui possède de grandes toitures » propices aux panneaux, dit-il.
Du côté résidentiel, la plupart des propriétaires qui plongent dans l’énergie solaire peuvent adhérer sans problème au programme de mesurage net, indique Maxime Morency, le vice-président de Québec Solar, une entreprise qui accompagne les propriétaires d’immeubles désireux d’installer des panneaux photovoltaïques. Toutefois, rares sont les bâtiments commerciaux qui s’y qualifient, confirme-t-il.
Généralement, dit M. Morency, les propriétaires commerciaux qui ont assez d’espace sur leur toit pour installer des panneaux solaires consomment trop d’énergie pour être considérés comme des clients de petite puissance. Heureusement, bon nombre d’entre eux arrivent à utiliser l’ensemble de leur production d’énergie solaire dans l’année : ils n’ont donc pas besoin de vendre leurs surplus.
Les problèmes risquent cependant de se multiplier, alors que de plus en plus de propriétaires de bâtiments commerciaux sont tentés par l’aventure solaire, observe l’entrepreneur spécialisé. « Étant donné que le prix du photovoltaïque a énormément baissé ces dernières années, ça devient une option viable » pour les promoteurs qui veulent obtenir une certification environnementale pour leur bâtiment, explique M. Morency.
Sachant que l’électricité d’Hydro-Québec est renouvelable et abordable, pourquoi un promoteur voudrait-il se lancer dans l’autoproduction d’énergie solaire ? Antonin Labossière et Hugo Lafrance évoquent la question de la résilience en cas de panne sur le réseau. Par ailleurs, ils soulignent que la production décentralisée d’énergie réduit la charge sur le réseau de distribution, ce qui représente un avantage pour la collectivité.
Mesurage net mis à jour
Hydro-Québec, de son côté, dit accueillir avec « ouverture » l’intérêt de ses clients pour l’autoproduction d’énergie solaire. Le porte-parole Maxence Huard-Lefebvre rappelle toutefois que « le profil de production de l’énergie solaire n’est pas en adéquation avec la courbe des besoins des Québécois ». Par une froide journée de janvier, à 18 h, le soleil est déjà couché, et donc les panneaux solaires ne produisent pas.
L’entreprise publique tempère aussi son enthousiasme pour l’autoproduction d’énergie solaire, car, selon ses études, l’empreinte carbone sur l’ensemble du cycle de vie des panneaux photovoltaïques est plus élevée que celle des éoliennes. Cet écart serait toutefois voué à s'évanouir avec l’optimisation de la fabrication des cellules photovoltaïques.
La société d’État n’érige donc pas en priorité l’essor de l’autoproduction solaire. En réponse aux questions du Devoir, elle indique néanmoins travailler à la mise à jour de son option de mesurage net, qui devra ensuite être approuvée par la Régie de l’énergie. Une révision de la limite d’admissibilité fixée à 50 kW « fait partie des éléments analysés ».
Selon le dernier plan d’approvisionnement d’Hydro-Québec, la production solaire décentralisée fournira 0,7 térawattheure d’énergie supplémentaire par année en 2032, par rapport à 2022. Elle estime que 60 % de cette énergie proviendra du secteur résidentiel, et 40 % du secteur commercial. Cela correspond à un dixième de l’énergie nouvelle qui sera requise pour électrifier les transports.
D’abord dépités, la firme et ses partenaires ont ensuite trouvé une solution pour contourner le problème qui bousculait leur budget : ils ont séparé l’entrée électrique de l’immeuble en deux. Le rez-de-chaussée se qualifiait ainsi au programme, et les surplus d’énergie solaire pouvaient être valorisés. Tous les promoteurs ne peuvent toutefois effectuer une telle manoeuvre pour adhérer au mesurage net.
« Quand on dit à un client [souhaitant installer des panneaux solaires] que, présentement, il faudrait qu’il donne une partie de l’électricité qu’il produit, ça compromet la discussion », déplore Hugo Lafrance, un associé responsable des stratégies durables chez Lemay, l’un des plus grands cabinets d’architecture au Québec.
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